Abigaël, 22ans, est une ancienne Enfant Reporter de la ville de Kinshasa. Elle est aujourd'hui étudiante en droit et continue de s'impliquer pour les droits des enfants en encadrant à son tour les Enfants Reporters.

À Ndjili, dans un lycée, des élèves sont sur la piste. Le DJ enchaîne les chansons. Les enfants dansent pour célébrer la journée de l’enfant africain, le 16 juin 2023. En fait, certaines danses peuvent choquer.

 

« Dendisa », « Kibokolo », « Tika to mêla n’a biso », pour dire « laissez-nous boire », et d’autres titres se succèdent. À un moment donné un groupe d’enfants soulève légèrement les jupes en trémoussant les arrières. Et à chaque nouvelle chanson, les enfants s’enflamment. En fait, ces filles connaissent les paroles et les chorégraphies par cœur. C’est comme s’ils essaient de dire aux adultes qu’ils comprennent tous les messages que leurs chansons renferment.

Malgré tout, je me demande comment est-ce que des enfants peuvent connaître autant toutes ces chansons dont le continu n’est pas adapté à leur âge ? Et pourtant, c’est dans une école que cette musique est jouée et les responsables ne disent rien. Les adultes présents regardent, désarmés. En fait, il existe bien une commission de censure non ?

Je me rappelle, il y a quelques années de cela, j’ai visité la commission nationale de censure. Leurs locaux étaient entre les murs du palais de justice, à Kinshasa.

J’y ai rencontré le directeur de la commission, monsieur Didi Kelokelo, avec qui j’ai échangé sur la relation qu’il y a entre la musique et les jeunes.

 

Où est passée la commission de censure? 

 

Ma question, et je me la pose encore aujourd’hui : pourquoi malgré l’existence d’une commission de censure, des chansons dont le contenu frise la moralité sont diffusées dans les médias ? Des enfants écoutent ces chansons comme si de rien n’était.

Il m’a dit qu’il y a toute une procédure à respecter avant de diffuser une chanson auprès du public. « Les artistes doivent d’abord déposer le clip ou la chanson à la commission de censure. La commission vérifie qu’il n’y a pas d’images ni des paroles obscènes ou choquantes dans la chanson avant sa diffusion » a-t-il dit.

Du coup, la commission de censure peut interdire la diffusion des chansons des musiciens qui ne suivent pas toute cette procédure, surtout si elles ont des contenus obscènes. Il a donné l’exemple du titre d’une chanson d’un jeune artiste qui venait d’être censurée.

Dans cette école à N’djili, les chansons que j’entends sont justes difficiles à entendre. Où est donc passée la commission de censure ? Et certains enfants qui écoutent certaines paroles ou regardent des clips où certains artistes sont habillés légèrement copient tout simplement. Je crois que c’est en partie à cause de l’influence de la musique.

Que font les parents ?

Chaque parent essaie, à mon avis, de croire que son enfant est à l’abri des conséquences de ce qu’il écoute. C’est sûrement plus facile que de trouver des vraies solutions, éducatives je veux dire.

J’entends parfois certains parents dire que « avant, les chansons éduquaient. Aujourd’hui, elles dépravent les mœurs des jeunes et des enfants ».

En fait, je pense que la commission de censure devrait faire son travail avec rigueur pour protéger la jeunesse d’aujourd’hui, l’avenir du Congo. Certains artistes à succès, au nom de leur plaisir font passer en avant leurs activités au détriment de l’éducation des jeunes.

À cela s’ajoute la bénédiction et la complicité de certains adultes. D’autres disent, fatalistes, que la jeunesse d’aujourd’hui est perdue, et que c’est à chaque parent de préserver les siens. Je me demande comment on peut empêcher quelqu’un d’entendre ce qui est crié un peu partout dans les rues, transports en commun, etc.

La sanction pourrait faire reculer certains artistes. Et s’ils peuvent se permettre de défier le système mis en place, c’est qu’ils sentent qu’ils peuvent facilement s’en sortir.

J’estime que la musique forme, elle éduque, elle permet de s’exprimer et de véhiculer un message. Et chaque phrase qu’on entend quand on l’écoute, s’imprime dans nos têtes et dans nos cœurs. C’est ce qui fait qu’une situation peut facilement nous renvoyer à un titre ou aux paroles d’une chanson. Mais en dépit de tout cela, la musique peut aussi détruire. C’est malheureusement le revers de la médaille.

Bonne fête de la musique.