Isabelle a 12 ans. C’est l’aîné de sa famille. Elle habite un petit quartier de la ville de Kananga dans la province du Kasaï Central. Isabelle est entourée de ses deux petits frères, qu’elle adore. À la maison, on l’appelle « la grande ».

Isabelle cuisine bien et aide sa mère dans les tâches ménagères. Elle est obéissante, douce, discrète. Un vrai pilier dans la famille. Mais Isabelle ne va plus à l’école et reste à la maison. Elle a terminé l’école primaire et ses parents ont décidé que c’était suffisant. Depuis, Isabelle apprend à faire le ménage, à cuisiner sans rater le fufu et servir de l’eau aux visiteurs. Un jour, ses parents lui présentent un homme, un oncle paternel venu d’une autre ville. Elle l’appelle respectueusement « Tonton ».

Le pire est arrivé 

Le Tonton est souriant, toujours propre et parle fort. Il dit qu’Isabelle a bien grandi et qu’elle est jolie. Pour lui, la fille est prête à être « femme ». Il parle même de verser la dot en riant. Comme si c’était une blague.
Le Tonton revient souvent à la maison d’Isabelle. L’enfant ne percute pas. Et parfois, le Tonton passe à la maison même quand les parents d’Isabelle sont absents. Il sait qu’Isabelle est toujours là, seule. Isabelle le salue et fait semblant d’être à l’aise.
Mais au fond d’elle, quelque chose l’inquiète. Elle n’aime pas la façon dont le Tonton la regarde. Un après-midi, il fait chaud. Les petits enfants jouent chez les voisins. Isabelle est seule. Tonton arrive. Il pousse la porte et entre dans la maison sans frapper à la porte.
Isabelle est en face. Le Tonton avance d’un pas. Isabelle prend peur et recule. Le Tonton avance encore pour être plus proche de la fille. Il pose ses mains là où il ne devrait pas. Isabelle veut crier, mais aucun son ne sort de sa bouche. Ce jour-là, le Tonton viole l’enfant dans la maison même où elle a grandi. Avant de partir, il se penche vers Isabelle, le regard sévère et menaçant : « si tu parles, je te tue ». Il se relève et s’en va, comme s’il ne s’était rien passé. Isabelle reste allongée sur le sol. Elle est perdue et brisée. Son est en lambeau. Isabelle sait bien que le Tonton reviendra. Elle a peur… L’histoire d’Isabelle est une histoire fictive. Mais je sais qu’il y a des enfants qui l’ont vécu.
Et cette histoire est le début du plaidoyer que mes amis et moi avons lu à la célébration de la journée de l’enfant africain, le 16 juin à Kinshasa. Je le lis avec émotion. Pour moi, ce n’est pas la première fois de lire ou d’entendre une telle histoire. Pourtant, cette fois, c’est différent. Je m’appelle Faveur Maniku et je suis enfant reporter de Kinshasa.

Nous sommes toutes comme Isabelle

En lisant l’histoire d’Isabelle, je suis émue. En fait, je me retrouve beaucoup dans l’histoire d’Isabelle. Je pense que plusieurs filles vont aussi s’y retrouver. Je n’ai pas été violée comme Isabelle. Mais autour de moi, j’ai parfois le même sentiment de peur qu’Isabelle face au regard de son Tonton. Lorsqu’on est une fille et qu’on grandit, on apprend à supporter certains commentaires sur notre corps, certains regards indélicats qui vous déshabillent littéralement. On se sent bizarre. Comme Isabelle, beaucoup de jeunes filles sont exposées à des commentaires déplacés. Et nous devons les supporter. Ceux qui le font ne se posent aucune question. Sur la route, je me sens gênée par certains regards que je surprends. Il y a des paroles et parfois des gestes déplacés. Il faut supporter sans rien dire pour faire preuve de bonne éducation.
Lorsque je parle d’Isabelle dans la salle, j’ai un peu de mal à rester concentrée. J’ai du mal à bien voir à cause des lumières. Même avec mes lunettes, j’ai du mal à voir. Heureusement que je connais mon texte par cœur. L’émotion me prend suffisamment autour de l’histoire d’Isabelle parce que je sais qu’il y a des filles qui sont passées par là. Après le mot de plaidoyer, je remarque une chose : les autorités sont touchées. Elles sont émues. Pour moi, le pari est remporté. Je suis rentrée à la maison en paix, heureuse d’avoir passé le message des enfants auprès de ceux qui décident. Comment protéger les enfants comme Isabelle d’un homme comme ce Tonton ?
J’espère qu’il n’y aura plus d’autres Isabelle, victimes des violences.
Encadreuse : Choisie Nseka