Précieuse, 12 ans, est enfant reporter de Kinshasa.

 

Je vais vous raconter une histoire personne qui m’a un peu perturbé. En fait, pour mieux vous la raconter, comme elle me concerne directement, je préfère vous dire que je m’appelle Précieuse. J’ai dix ans et je suis enfant reporter de Kinshasa. Mon histoire est celle d’un prénom. Précieuse ou Ornella ? Je suis moi.

 

Mais depuis que je suis petite, la famille de mon père et nous, sommes en conflit. Quand on se croise, ce sont les insultes qui fusent. Et quand elles en ont l’occasion, nos tantes paternelles nous maltraitent. Je me suis toujours demandé pourquoi.

 

En fait, ma famille a une histoire que je viens de découvrir. Elle remonte à il y a très longtemps. C’est la clé de ce conflit.

 

Mes parents sont accusés d’avoir tué leurs enfants

 

Avant ma naissance, mes parents ont eu une fille. Elle s’appelait Ornella. Après elle, une autre petite fille est née. J’ai oublié son prénom.

 

D’après ce qu’on m’a raconté, Ornella était une petite fille brillante. Toujours souriante et très gentille. « C’est l’enfant que tout le monde rêvait d’avoir », m’a dit un jour maman, les yeux larmoyants.

 

Un jour, en rentrant d’école, elle a été lapidée. Oui, vous avez bien lu, tué par des jets de pierres. Ma mère n’a pas supporté la nouvelle. Quelques jours après, son autre fille mourait. C’était la plus jeune de la famille.

 

« Je n’avais pas la force de supporter ça », me raconte ma mère, nostalgique. Dans sa voix, je perçois la tristesse qu’elle essaie de contenir.

 

Elle m’explique que comme mon père venait de trouver un emploi assez stable, les voisins ont pensé que mon père a « sacrifié » mes deux sœurs pour avoir ce travail. On disait qu’il avait adhéré à une secte et qu’il avait vendu ses filles pour réussir.

Après concertation, les voisins ont décidé de les mettre à la porte. Ça a été la descente aux enfers. À ce moment-là, ma mère portait déjà ma grossesse. Elle a vu son monde s’écrouler. Se retrouver dans la rue, enceinte, avec son mari et sa fille n’était pas évident.

 

C’est en allant demander de l’aide que mes parents découvrent que la famille paternelle pensait la même chose que les voisins. Mes parents ont dû dormir dans une maison abandonnée.

 

Mon père a rencontré un bon samaritain

 

Ma mère m’a dit que mon père avait rencontré quelqu’un, un bon samaritain. Ce sont les mots de ma mère lorsqu’elle parle de cet homme qui leur a sauvé la vie à cette époque.

 

En fait, quelques semaines avant ma naissance, mon père a rencontré un homme dans la rue. Après plusieurs échanges, il lui a raconté son histoire et sa situation du moment. Touché, le Monsieur, qui était aussi procureur, lui a proposé un toit et un travail. Papa dit « oui » tout de suite, sans hésiter. Le train de vie de mes parents change subitement.

 

Pour la famille de mon père, c’est le « sacrifice » qui a payé. Ils lui en ont voulu pendant longtemps. Et c’est toujours le cas aujourd’hui.

 

Ornella est revenue

 

Ma naissance a suscité encore des questions. Je suis née à la même date qu’Ornella. Pur hasard ? Je ne sais pas. Mais pour ma mère, je suis le fruit d’une dure épreuve. Une consolation après un moment douloureux. Un cadeau. À ses yeux, je suis précieuse comme un bijou. Elle m’a appelé Précieuse. Emeraude aussi, j’aurais bien aimé.

 

D’autres personnes pensent que ma mère aurait dû m’appeler Ornella. Quand elle me le raconte, ma mère a des larmes qui coulent. À certains moments, elle a du mal à parler. Je pleure avec elle.

 

En fait, plusieurs personnes pensent que je suis la réincarnation de ma sœur. Qu’elle est revenue consoler mes parents. Pour ma mère, je suis moi. J’ai ma propre valeur. Parfois, c’est bizarre d’entendre les gens me dire qu’on devait m’appeler Ornella. Même si je l’entends assez souvent.

 

Même si je ne l’ai pas connue, j’aime beaucoup Ornella. Elle reste ma sœur. Ma grande sœur. Et malgré le fait que je pleure quand on raconte son histoire, la raconter fait que je me sente plus proche d’elle. Elle reste ma sœur.

 

Encadreuse : Abigael Mwabe