Abigaël, 22ans, est une ancienne Enfant Reporter de la ville de Kinshasa. Elle est aujourd'hui étudiante en droit et continue de s'impliquer pour les droits des enfants en encadrant à son tour les Enfants Reporters.

Le vendredi 4 avril dernier, des fortes pluies sont tombées sur Kinshasa. Et en sortant, j’ai pris une moto. Pendant la course, le motard m’a parlé des risques auxquels il est exposé après la pluie. Et c’est notamment pour cette raison qu’il augmente les prix de sa course.

En fait, après la pluie, il le risque de marcher sur des câbles électriques recouverts d’eau. Kinshasa est une ville où les câbles électriques sont au sol. Et dans certaines zones, lorsque l’électricité n’est pas coupée, il y a des risques d’électrocutions. Le motard m’explique qu’il s’offre une sorte de prime de risque en haussant le prix de la course. Il la prend sur chaque course. J’insiste sur le fait que la pluie n’est pas une raison de dépouiller les autres, le motard se défend. « On ne risque pas seulement nos vies avec les câbles électriques. Nous la risquons aussi en slalomant entre les véhicules. Et ça, autant que de marcher sur un câble électrique, c’est un danger. Nous n’escroquons personne, madame. Tout ce que nous voulons, c’est gagner notre vie à la hauteur du risque que nous prenons. Encore nos prix n’équivalent même pas à ces risques. Nous avons beaucoup de difficultés sur la route. Certains conducteurs ne respectent pas nos vies. Pour ne citer que ça. Il y a les embouteillages aussi. Je ne vous l’expliquerai pas longtemps. Vous verrez », me promet le motard. Je comprends rapidement ce qu’il dit.

Une ville à mille dangers

Nous tombons bientôt dans un gros bouchon. Pour les éviter, le motard emprunte la bande des piétons. Il reçoit les insultes de certains passants. On passe sur le bord d’un caniveau aussi. « Tu vois ?, me dit le monsieur. Nous avons pris des risques pour ne pas rester dans les bouchons. J’ai de la chance que tu sois mince. Je n’ai pas fourni beaucoup d’efforts. Il y en a pour qui cet exercice est un calvaire à cause du poids de certains clients. D’autres finissent par tomber à cause d’une fausse manœuvre ou du manque d’espace. Moi, je suis un bon conducteur. Donc ça parait facile », dit le conducteur, tout fier. Je ne le sais pas encore, mais on se dirige vers le deuxième risque dont parlait le motard.
Au niveau de Vélodrome, un arrêt de la commune de Kintambo, il hésite sur le chemin à prendre. Il y a le choix entre Bangala, une rue à notre gauche, ou prendre la rue juste devant nous.
C’est celle où se trouve le petit marché de Kintambo. Le motard sait déjà ce qu’il veut. Il m’explique que la route sur l’avenue Bangala est en mauvais état. Et qu’on risque d’être pris dans les embouteillages. Il n’a pas beaucoup de marge de manœuvre sur la boue. Nous prenons l’avenue du marché. Nous roulons sur l’asphalte. Il y a de l’eau sur la route, mais rien d’inquiétant.
À mi-chemin, je suis étonnée de voir que la route est complètement inondée. Lorsque le motard baisse ses pieds pour avoir de l’équilibre dans un ralentissement, je vois que l’eau atteint ses genoux. Il est pourtant assez élancé. C’est inquiétant. Ses collègues lui lancent des blagues. Certains disent aux filles qu’elles vont perdre leurs téléphones dans l’eau. Parce qu’il y a des clients qui filment leur trajet à moto.

Conséquences du réchauffement climatique

D’autres motards parlent du réchauffement climatique qui serait à la base de ces fortes pluies à Kinshasa. Mais durant notre trajet, je suis choquée et surprise par le fait que personne ne se préoccupe de la zone inondée que nous traversons.
Les motards et d’autres clients rigolent de la situation. Est-ce qu’on a encore le temps de penser ce qui peut être fait pour réduire les dégâts causés par la pluie ? À ce que je vois, on dirait que tout est normal.
Je regarde fixement l’eau. En fait, je me demande si les maisons sont touchées. Et que serait l’étendue des dommages si c’est le cas. C’est énorme. Nous avons des sinistrés à Kinshasa.

Après la pluie, les dégâts

J’ai lu un post qui disait que Kinshasa est « Kabaselique ». Pour dire qu’elle est sous les eaux. C’est une référence à un cri dans la chanson 207 de l’artiste musicien Fally Ipupa. On demande à Kabasele de tomber dans l’eau. Cela a le mérite de m’arracher un sourire. En même temps, je pense aux autres, à ceux qui doivent survivre à la montée des eaux dans leurs maisons. Il y a ceux qui doivent lutter pour ne pas être emportés par les courants d’eau. Ce sont des victimes de ces pluies diluviennes. Je pense aux maisons qui sont détruites. Il y a des familles qui, aujourd’hui, n’ont plus d’abri.
Des maisons emportées des érosions dans certains coins de la ville. J’ai de la peine pour toutes ces personnes et pour ces enfants qui doivent rester en vie pour ne pas se retrouver sous les eaux. Mais je n’y peux rien. On ne peut pas arrêter la pluie. J’espère juste que chacun prendra ses dispositions pour diminuer les dégâts du réchauffement climatique. Dans l’immédiat, il faudrait penser comment se protéger lors des prochaines pluies.
En attendant, la météo prévoit d’autres pluies pour ce mois d’avril. On dit souvent qu’après la pluie, c’est le beau temps. Mais je suis tentée de dire qu’après la pluie ici vient les inondations, les éboulements de terre et les dégâts.
C’est triste, mais c’est comme ça.
Abigaël Mwabe