Mon amie est morte. Elle serait encore en vie si l’incident que je m’apprête à vous raconter ne s’était pas produit. Je m’appelle Choisie Nseka et je suis jeune encadreuse des enfants reporter.
Le samedi 14 décembre 2024, dans mon quartier, il y a beaucoup d’agitation. Ce n’est pas à cause des fêtes de fin d’année. En fait, je viens d’apprendre le décès de mon amie. On vient tous de l’apprendre. Je vais l’appeler Esther pour préserver son anonymat. Pourquoi Esther ? Juste parce qu’il y a un « E » dans son vrai prénom.
Esther est une fille de mon avenue. Elle a deux petits frères et est parmi mes amis dans le quartier. Elle habite dans la même avenue avec l’une de mes tantes chez qui je viens souvent depuis toute petite. Et comme ma tante n’a jamais déménagé, j’ai quasiment grandi sur cette avenue. Je connais tout le monde. C’est comme ça que je rencontre Esther. Une fille curieuse, bruyante, vive, un peu énervante et souriante. Son rêve ? Devenir une grande styliste et une couturière de renommée mondiale. Elle aime la couleur rouge. Elle le montre très bien sur ses œuvres. A chaque fois que je devais faire un habit en pagne, c’est à Esther que je parlais. La passionnée de mode avait toujours des modèles à me présenter à chaque fois. Elle a aussi des conseils avertis. J’écoute Esther.
Faute des soins appropriés, Esther est morte
Depuis près de deux mois que Esther, 15 ans, élève en coupe et couture dans une école de sa commune, ne va pas à l’école. Elle a disparu dans le quartier. Sur l’avenue, certaines personnes pensent que la fille a voyagé pour les vacances. Jusqu’au jour où nous apprenons qu’en réalité, la fille était malade.
D’autres personnes et moi avons décidé d’aller lui rendre visite et voir si on pouvait apporter notre aide. Lorsqu’on la voit, on est choqué. Esther est toute maigre et toute pâle. Son ventre est ballonné comme si elle était enceinte. Elle a aussi des tâches sur la poitrine.
Sa mère nous explique que mon amie a la rate et qu’elle se fait soigner traditionnellement depuis quelque temps. Malgré le traitement, il n’a aucun changement. Le traitement ne marche pas. Plus tard, j’apprends qu’il n’y a aucun diagnostic fait par des médecins. En fait, les parents d’Esther ont supposé que l’enfant la rate en voyant le ballonnement de son ventre.
Face à l’état de mon amie, nous proposons aux parents de l’amener à l’hôpital. « Le prophète a eu la révélation qu’Esther va mourir si elle va à l’hôpital », répond son père. Il refuse que sa fille soit conduite à l’hôpital. Il est catégorique. Sa fille n’ira pas à l’hôpital.
Une fin qui aurait pu être évitée…
Esther va mal et sa situation se dégrade davantage. Quelques habitants de l’avenue décident de contacter la grande tante de l’enfant qui vit en Europe. On lui explique la situation de sa nièce. Elle est surprise d’apprendre que sa nièce est gravement malade. En plus, son père refuse de la conduire à l’hôpital. La tante de mon amie contacte directement un hôpital à Kinshasa pour qu’on vienne chercher sa nièce et la conduire à l’hôpital. La tante paie d’avance les frais d’ambulance, consultation et le nécessaire pour la prise en charge de sa nièce.
Une ambulance arrive dans la parcelle familiale pour récupérer Esther. Contre toute attente, les parents refusent de laisser partir leur fille. Touchés par l’état de santé de mon amie, les jeunes du quartier tentent de forcer les parents d’Esther pour qu’ils confient leur enfant à l’ambulance. Mais cela ne marche pas. L’ambulancier repart, déçu et énervé, sans la patiente.
La tante apprend la nouvelle de ce refus, avec l’aide de certains jeunes du quartier, elle contacte la police le lendemain de l’incident. Et le même jour, des agents de la police viennent voir les parents d’Esther pour trouver une solution. Un jour après la descente des agents de la police, l’ambulance revient chercher Esther et la conduire à l’hôpital. Elle est dans un état plus que critique. Son ventre est tellement ballonné qu’on la croirait enceinte prête à accoucher. Mon amie ne peut ni manger, ni marcher et sa fièvre ne tombe plus. J’ai les larmes aux yeux quand je la vois toute maigre. Sa famille l’accompagne dans l’ambulance. Plus tard, on apprend le diagnostic. Esther est atteinte de la cirrhose de foie. On ne saura jamais si elle souffrait vraiment la rate comme le pensaient ses parents. On ne nous donne pas l’information.
Repose en paix
A l’hôpital, Esther est prise en charge. Les médecins font le nécessaire avec un traitement adéquat. Le miracle se produit. Esther reprend un peu de force. Son état s’améliore. C’est là que l’impensable se produit. Les parents de mon amie estiment que l’hôpital n’est pas assez bien pour leur fille. Ils décident, sur un coup de tête, de la faire transférer dans un meilleur hôpital. Pour qu’on laisse partir leur fille ? Ils sèment le désordre. Pour protéger d’autres patients, les médecins sont obligés de les laisser partir avec Esther. Sans ambulance. Pendant ce transfert dans un taxi banal, Esther meurt. C’est autour de 15h, dans la chaleur du véhicule que mon amie rend l’âme. J’ai du mal à accepter cette mort. J’ai perdu celle qui était comme une sœur pour moi. La mort dans l’âme, les larmes qui perlent sur les joues, je te dis Adieux Esther.
En fait, je pense que cette fin aurait pu être évitée. C’est révoltant. Mais, que faire alors que je me sens impuissante ? Je ne sais pas. Esther serait toujours en vie si elle avait reçu des soins appropriés à temps. Là, elle est morte. Elle a perdu la vie, juste parce que son droit à la santé, le droit d’avoir accès aux soins de santé de qualité n’a pas été respecté. Ma future modéliste, styliste repose avec les anges. Elle n’est plus. Elle emporte avec elle son avenir et ses rêves dans la tombe. Il y aurait sûrement d’autres enfants qui sont victimes des croyances et de l’imposition de leurs parents dans cette situation.
Si je devais lui dire un mot, ce serait que j’aurais dû faire plus pour l’aider. Alors, si je n’y arrive pas, je veillerai sur ses petits frères. Elle en avait deux. Repose en paix mon amie.