L’histoire que je veux vous raconter est un peu longue. Je vais vous la raconter en deux parties. Et voici la première. Je m’en souviens comme si c’était hier. Des crépitements des balles dans le village de Mbau, non loin de Béni, dans la province du Nord-Kivu. C’est terrifiant. Ma sœur et moi sommes à la maison. Maman est à Oïcha, toujours dans le Nord-Kivu. Je suis séparé de ma mère à cause de la guerre. Je ne dirais pas « Papa où t’es », comme l’a chanté le musicien Stromaé. Maman où t’es?
Les rebelles viennent d’entrer dans le village. Il faut fuir ou accepter de mourir. Le pire, c’est qu’il n’y a pas que ma sœur et moi. Il y a aussi notre petit frère. C’est un bébé. Il n’a que 6 mois. Je ne peux pas l’abandonner.
Je ne vous donne pas mon nom, pour me protéger. Mais je peux vous dire que je suis un enfant. Oui. Un enfant. Aujourd’hui, je vis et étudie quelque part dans la ville de Goma.
Enfant, on pense souvent que nos parents seront toujours là pour nous. On n’imagine jamais le pire. Pourtant, cela m’est arrivé. Les parents peuvent mourir. Ils peuvent tous s’en aller et nous les enfants on ne peut plus les voir. Et si on se retrouve seul contre le reste du monde ? J’ai des larmes aux yeux rien qu’à l’écrire.
Alors, un matin, on peut se réveiller et n’avoir plus rien au monde. Même pas des parents pour veiller sur nous. On se sent perdu. On a les pieds lourds, mais on ne peut s’arrêter. Il faut avancer et sauver sa vie. On n’est pas sûr d’y arriver, mais il faut essayer. C’est ce qui nous arrive ce jour-là.
Les adultes et les enfants, chacun sauve sa vie
Nous avons quitté Majengo avec une foule de personnes. Sur la route, je dois veiller sur ma sœur et mon petit frère. Il y avait des adultes, des enfants et des vieux. Chacun pense d’abord à sauver sa peau. Parmi les déplacés, j’ai vu des gens emporter leurs valises et d’autres bagages. D’autres personnes avaient leurs chèvres, poules et d’autres animaux. Avant de fuir, chacun prend ce qu’il peut.
Le bébé dans mes bras, ma sœur et moi prenons la fuite. Où allons-nous ? Nous courrons avec tout le monde sans savoir dans quelle direction on va. Mais on avance seulement. Nous fuyons sans nous demander ce qui pourrait nous arriver sur la route. On veille à rester dans la foule.
Au moins, comme cela, on est un peu moins en danger. Je ne peux malheureusement pas parler de sécurité. Le but de notre marche est d’atteindre Mantumbi. Ce n’est que là qu’on pourra ralentir.
Je suis le gardien de ma sœur et du bébé
En chemin, je vois des enfants pleurer parce qu’ils ne retrouvent pas leurs parents. Personne ne les regarde. Certains adultes les bousculent et les piétinent parce qu’ils sont minuscules. Visiblement, ils n’ont aucune importance pour eux. Chacun est concentré sur sa fuite. Cette scène me fait mal parce que je suis aussi un enfant. C’est très triste de voir ces enfants sans défense, sans force et sans personne pour les protéger.
Certains parents se souviennent avoir pris des chèvres, des télévisions, etc. Mais pas leurs enfants. Comme s’ils les avaient oubliés. Je n’imagine même pas ce qui va arriver à ces enfants perdus ou abandonnés. Je me sens mal pour eux et pour moi. Finalement, je me dis que les adultes sont parfois égoïstes. Ils ne sauvent que leurs vies. Et je continue de courir avec le bébé dans les bras et ma sœur dans la main. Je la regarde de temps en temps pour me rassurer qu’elle est encore là.
Je m’arrête ici pour aujourd’hui. Demain, je vous raconte la suite.
Encadreur : Félicité Mbuyi