Abigaël, 22ans, est une ancienne Enfant Reporter de la ville de Kinshasa. Elle est aujourd'hui étudiante en droit et continue de s'impliquer pour les droits des enfants en encadrant à son tour les Enfants Reporters.

Le 12 juin est la journée mondiale contre le travail des enfants. En fait, parler du travail des enfants me dérange déjà à la base. Je suis Abigaël Mwabe, jeune reporter à Kinshasa.

 

En fait, je pense qu’on ne devrait pas parler des enfants et de leur travail. Souvent, nous choisissons de fermer les yeux sur la question. Et pourtant, un travail qui implique des enfants ne devrait pas exister.  Je pense que les enfants ne le méritent pas simplement.  Un enfant, ça ne travaille pas.

Alors, le 12 juin, nous avons produit des vidéos pour dénoncer le travail des enfants. Nous étions trois jeunes à Kinshasa. Pendant que mes collègues parlent dans leurs vidéos, je les écoute avec beaucoup d’attention. Mais, je ne réagis pas à ce qu’ils disent. Curieusement, nos discours sont presque les mêmes.

« Situation économique, normes sociales qui ne protègent pas l’enfant, pauvreté, etc. » Des solutions, on en propose plusieurs. « L’accès à une éducation de qualité, promotion des normes sociales plus adéquate, etc. ».

Des enfants qui travaillent, ce n’est pas normal

Mais je me demande, comment une journée dont l’objectif est d’attirer l’attention sur le grand nombre d’enfants qui travaillent, ne produit pas de résultats. En vingt et un ans, rien n’a changé.  Il y a de plus en plus d’enfants dans les rues. Il faudrait que la situation change.

Pendant qu’on parle de la journée mondiale de lutte contre le travail des enfants, certains parmi eux meurent dans les mines. D’autres sont exposés aux dangers dans les rues pour aller vendre ou en essayant de trouver un peu d’argent pour aider leurs familles.  On le voit, mais on se tait. Cela me révolte parce que certains ont mon âge et n’ont pas de choix de se former.

Quand j’en parle, je n’arrive pas à trouver les mots. Parce que pour moi, ce n’est pas normal que certains enfants vivent dans les meilleures conditions et que d’autres vivent dans la misère.

Le problème persiste

Je me rappelle que lors de la cérémonie de la mise en place du cadre de coordination conjointe de toutes les parties prenantes dans le domaine de la promotion et la protection des droits de l’enfant qui s’est tenue au salon bleu de l’hôtel du gouvernement à Kinshasa le 06 juin 2023, le même discours revient. « La situation de l’enfant est encore préoccupante ».

Je m’attends à entendre parler de l’évolution. Mais, dans les discours, j’entends toujours qu’il n’y a pas de changement et que le problème persiste. Comment expliquer que pendant des années, rien ne change ?

« Il faudrait promouvoir les normes sociales qui protègent les enfants, et leur assurer l’accès à une éducation de qualité ». C’est ce que j’ai dit dans la vidéo qu’on a produite.

En réalité, je ne vois pas comment on pourrait dire à ces enfants d’arrêter de se prendre en charge alors qu’ils ont toujours travaillé pour subvenir à leurs besoins. Il faudrait beaucoup de méthodologie pour leur faire d’abord comprendre qu’il n’est pas normal pour enfant de travailler.

On devrait peut-être aussi penser à leur demander ce qu’ils veulent avant tout. Si leur avis compte, ce serait déjà une bonne démarche au lieu de penser à leur place. Souvent lorsqu’on tient des conférences et autres forums, ces enfants qui travaillent ne sont même pas là. Ils sont pourtant les premiers concernés.

Je pense que lorsqu’un enfant a passé plus de temps à travailler, il perd une partie de son âme innocente. Il n’est plus le même.

Ce que je ne comprends pas, c’est comment après toutes les campagnes menées et toutes les journées instituées, les choses ne changent toujours pas ? Peut-être qu’au lieu de commémorer ces journées, on devrait s’en servir pour faire une analyse de la situation et déterminer en se basant sur la situation réelle des enfants, si les réunions et les décisions prises portent ou non leurs fruits. Bref, changer de stratégie. Je voudrais que cela change. En même temps, j’interpelle les décideurs sur les réelles initiatives à prendre pour un réel changement de la situation des enfants qui sont encore en train de travailler.