Je vous raconte la deuxième partie de l’histoire d’Antoine, cet ancien enfant soldat qui s’est confié à moi. Antoine pense à ce qu’aurait été sa vie si ses parents n’avaient pas quitté Goma. Il pleure intérieurement.
Sur son visage, il n’y a aucune expression. S’il y a un signe de faiblesse sur le visage, la personne qui pleure est maltraitée dans le camp. Il faut paraître dur et rester fort.
Pour se protéger, il faut faire le dur. Antoine rit de la douleur. Des images horribles défilent dans sa tête. Des scènes dramatiques lui reviennent lorsqu’on se parle. Sous l’effet de la drogue, dans le camp d’entrainement, tout passe sous les yeux de ses compagnons d’armes qui sont aussi ses bourreaux. Mais même là, il est dans la retenue. Il doit être assez lucide pour s’arrêter lorsqu’il le faut. Les effets des drogues qu’ils prennent lui permettent de mieux supporter la douleur et les atrocités. Lorsque tout cela disparaît, Antoine a du mal à regarder sa réalité en face.
Une jambe en moins
« Deux ans après mon enrôlement, je perds ma jambe lors d’une attaque. Là encore, c’est une autre épreuve », regrette Antoine. Avec une seule jambe, l’enfant sait qu’il n’a plus de place dans sa troupe. En fait, personne ne veut d’un combattant estropié. La règle veut que ses frères d’armes le tuent. Antoine pour que le ciel épargne sa vie.
« Je me demande si c’est comme ça que je vais mourir. Abusé par des soldats et après avoir perdu une jambe, on te liquide ? Je suis déçu. Au moment de m’achever, l’un des soldats a demandé à abuser de moi une dernière fois. Dans ma tête, j’étais déjà mort. Il a pris mon corps et l’a amené vers la rivière. Je ne me suis même pas débattu. J’attendais juste que mon supplice arrive. Et à ce moment-là, il m’a sauvé », raconte Antoine. Le soldat lui pose une condition, courir. « En fait, ce soldat me dit qu’il a lui aussi été pris petit et il a eu pitié de moi. Lorsqu’il me relâche, il me demande de courir. Mais, s’il me rattrape, c’est fini pour moi. J’ai couru de toutes mes forces. Et comme je saignais beaucoup, j’ai fini par m’évanouir. La dernière chose que j’ai vue était le visage d’un inconnu. Après, plus rien », soupire Antoine. Je suis devenu proche de cet enfant.
Lorsqu’il retrouve ses esprits, Antoine apprend qu’il a été secouru par un villageois qui l’avait vu s’évanouir. Au début, il était réticent à l’idée de secourir un enfant soldat. Finalement, il a récupéré cet enfant.
Amputé, mais toujours en vie
« On est plus le même enfant après être passé par les armes. Aujourd’hui, j’ai des insomnies et plusieurs troubles psychologiques. Je prends des médicaments pour me soigner. Mais parfois, j’ai l’impression que ces médicaments ne marchent pas » me dit Antoine. Il espère oublier toutes les atrocités vécues ou bien que sa mémoire puisse effacer cette partie de sa vie. Mais, ces images d’horreur lui reviennent encore.
En fait, si Antoine m’a raconté son histoire, c’est pour éviter que ce qu’il a vécu ne puisse arriver à d’autres enfants. « Je veux aussi que les gens sachent qu’avoir été enfant dans un groupe armé est très traumatisant », conclut Antoine.
Je voudrais vraiment que les traitements qu’il prend puisse l’aider à se sentir mieux dans sa tête. Avec sa jambe, il est encore en vie. Je crois qu’il peut s’en sortir et reprendre sa vie d’enfant là où elle s’est arrêtée.
Courage Antoine. Je veux aussi que les enfants soient protégés des enrôlements forcés dans les groupes armés. Que les autorités puissent protéger les enfants pour qu’ils vivent dans un environnement sain.