Asaël Kimfuta et Liora Amsellem ont présenté leur plaidorie « Alea jacta est » lors du concours des plaidoiries du Mémorial de Caen. Elles ont remporté le troisième prix.
enfants sorciers

PHOTO: UNICEF RDC Dubourthoumieu

« Moi, c’est Rachel, Rachel Mwanza. Je suis née en 1997 à Mbuji Mayi, en République Démocratique du Congo. J’ai passé une enfance agréable et aisée auprès de ma famille. Mais en 2004, mon père perd son travail à la Gécamines et ma mère, mes frères et moi sommes obligés de déménager à Kinshasa chez ma grand-mère. En 2008, maman décide de partir en Angola pour chercher de l’argent car la situation financière de la famille s’est dégradée. Et elle n’est jamais revenue. Après son départ, un faux prophète fait croire à ma grand-mère que je suis la source de tous les maux de ma famille et décrète que je suis une ‘ndoki’, une sorcière en lingala. Ma grand-mère me met alors à la porte et je deviens une ‘shégué’, une enfant de la rue. ».

Exaucé, 13 ans, témoigne : « A la mort de ma grand-mère. Nous sommes allés à l’église de mon grand-père pour le deuil. Le pasteur m’a désigné. Il a dit que j’avais mangé ma grand-mère. Ils m’ont gardé enfermé à l’église avec des cordes aux pieds et aux mains. On faisait le jeûne pendant trois jours. Puis, je prenais la purge : un litre d’huile de palme à avaler. On nous mettait dans les yeux une eau qui nous faisait pleurer. J’ai dit que je n’étais pas sorcier et que je ne comprenais rien de tout cela. Mais on voulait que je fasse la délivrance. On me versait la bougie fondue sur les pieds et le front. J’ai fui pour retrouver ma famille. Ils m’ont battu pour que j’avoue. J’ai fui dans la rue. »

Comme Rachel et Exaucé, 120 millions d’enfants dans le monde vivent dans les rues. Des milliers d’enfants en Afrique, notamment en République Démocratique du Congo, sont considérés comme des sorciers. Leur nombre est difficile à estimer et varie sans arrêt, mais ils seraient plus de treize mille seulement à Kinshasa. Treize mille enfants. Treize mille vies. Treize mille accusés de sorcellerie et subissant des séances d’exorcisme. Treize mille à plaider coupables après d’atroces souffrances.

Mais d’où viennent ces accusations ? 

Selon le Larousse, la sorcellerie est « une pratique magique ayant un effet néfaste sur un être humain, un animal ou une plante ». Et selon la culture congolaise, pipi au lit, sommeil agité, ventre ballonné, handicap… sont la “preuve” que l’enfant est un sorcier.

Les facteurs sont multiples : économiques, politiques, et sociaux. Tout d’abord, l’appauvrissement général ne permet pas aux populations de pouvoir répondre à leurs besoins. Les parents, étant mal rémunérés, ne peuvent ni payer la scolarité de leurs enfants ni les nourrir convenablement. A cela s’ajoute la guerre qui contribue à augmenter le nombre d’enfants orphelins. Hébergés chez des membres de leur famille ou faisant désormais partie d’une famille recomposée, ils sont souvent déscolarisés, à l’inverse de leurs demi‐frères et sœurs.

Ces enfants vivent dans l’ignorance la plus complète de la part de la société

La population congolaise étant ignorante et surtout sensible aux superstitions se laisse aveugler. Les enfants, soi-disant coupables de la pauvreté, de la mort d’un membre de la famille, du manque de réussite… sont déposés dans des églises dirigées par des faux prophètes et pasteurs. Agissant sous couverts de lutter contre le Mal, ils associent la sorcellerie au diable, disant de voir un esprit maléfique dans le corps d’un enfant qui serait donc à l’origine de tous les malheurs de la famille.

Chaque église a sa méthode de torture et pour une séance d’exorcisme ils demandent entre 5.000 et 50.000 francs congolais [soit entre 3 et 30 euros]. L’enfant-sorcier contiendrait la substance sorcière dans son abdomen alors, parfois, le médecin tradipraticien découpe, avec un couteau non stérilisé, le ventre de l’enfant et ampute un petit morceau de son intestin, symbolisant la sorcellerie.

Sachant qu’un sommeil agité, un ventre ballonné ou encore la pauvreté familiale ne se résout pas avec un liquide ni de la torture, les enfants sont abandonnés par leur entourage et se retrouvent dans les rues. Ils devraient à ce moment-là être pris en charge par l’Etat. Cependant, arrivés dans la rue, la plupart des enfants y restent. La violence, physique et sexuelle, est partout. Les enfants ne vivent plus, mais ils survivent en travaillant, les filles se prostituent dès 6 ou 7 ans.

Changer la situation actuelle, c’est prouver que le sort n’est pas jeté

Chaque enfant du monde possède des droits fondamentaux. D’après l’article 19 de la Convention relative aux Droits de l’Enfant, chaque enfant doit être « protégé contre toute forme de violence, d’atteinte ou de brutalités physique ou mentale, d’abandon ou de négligence, de mauvais traitements ou d’exploitation ».L’article 160 de la loi n°09/001 portant sur la protection de l’enfant stipule qu’ « en cas d’accusation de sorcellerie à l’égard d’un enfant, l’auteur est puni d’un à trois ans de servitude pénale principale et d’une amende de 200.000 à un million de francs congolais ». Ces lois ne sont pas appliquées et beaucoup d’enfants périssent. Pourtant, les solutions existent.

Il est essentiel que l’Etat crée une unité de recherche constituée d’anciens enfants de rue formés, ainsi que des maisons d’enfants et des dispensaires spécialisés afin d’accueillir les enfants considérés comme sorciers. Une plus grande connaissance du phénomène permettrait de sensibiliser les populations et de lutter contre ces pratiques. Le dialogue entre communautés, autorités locales, tradipraticiens et chefs d’église doit s’instaurer, en insistant sur les droits de l’enfant. Pour que ces droits soient appliqués, la sensibilisation des magistrats semble aussi nécessaire, ainsi que la réglementation des activités des églises concernées, et des licences dispensées aux médecins tradipraticiens.

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Plaidoirie présentée par Asaël Kimfuta et Liora Amsellem lors du concours des plaidoiries du Mémorial de Caen. Elles ont remporté le troisième prix.

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Publié initialement en mai 2018